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Franchise et annulation du contrat : quand le franchiseur manque-t-il à ses obligations ?

Chrystel DILOY |  17 décembre 2020 |  , , , , , , ,

 
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diloycdy@hotmail.com

Le contrat de franchise génère une jurisprudence assez constante : quelles sont les conditions de l'annulation dudit contrat ?

Franchise : le dépôt de bilan du franchisé conduit-il à l'annulation dudit contrat ?

La franchise et l'annulation du contrat est une question assez fréquente que les tribunaux ont à connaître. Récemment encore, ceux-ci ont statué sur une telle question dans le domaine alimentaire. Plus précisément, la décision concerne la vente de chocolats au détail et autres produits alimentaires. Suite au dépôt de bilan du franchisé, le mandataire liquidateur sollicitait notamment l'annulation du contrat de franchise. Mais quelle est la solution retenue par la Haute juridiction ?

Cette décision s'inscrit donc dans le sillage d'un certain nombre de décisions concernant les « chaines » de restaurants, de restauration rapide, de débits de boissons, de magasins de vente de produits alimentaires…

En l'espèce, deux particuliers créent une société (« Couleurs et chocolats »). Ils concluent également, en leur nom personnel et au nom de ladite société, un contrat de franchise. Le franchiseur est une société qui développe un réseau de magasins de vente de chocolats au détail et d'autres produits alimentaires (spécialités régionales…). Sur la définition des produits alimentaires, on peut consulter notre article.

Or, assez rapidement, le franchisé est mis en liquidation judiciaire. Un mandataire liquidateur est désigné. Il assigne alors le franchiseur en annulation du contrat de franchise pour vice du consentement. Il sollicite également le versement de diverses sommes.

 

Franchise et annulation du contrat : la décision de la Cour d'appel de Paris

La Cour d'appel de Paris prononce la nullité du contrat de franchise pour erreur. Pour prononcer cette nullité, les juges retiennent que :

  • les comptes prévisionnels, établis sur la base des informations fournies par le franchiseur, se sont révélés exagérément optimistes ;
  • lesdits comptes ont provoqué chez les franchisés, novices dans le secteur concerné, une erreur sur la rentabilité de leur activité ;
  • les chiffres prévisionnels se sont avérés très éloignés des chiffres d’affaires réalisés par le franchisé.
  • le caractère inadapté de l’emplacement ainsi que la trop grande superficie des locaux ;
  • le montant excessif du loyer ne garantissant pas au franchisé un taux de rentabilité minimale ;
  • la situation du local au sein d'une galerie marchande en déclin.

Le franchiseur interjette alors appel de cette décision.

 

L'arrêt rendu par la Cour de cassation : quand y a-t-il erreur en matière de contrat de franchise ? Manquement du franchiseur à son obligation de conseil ? …

Le franchiseur soutient alors qu'il ne peut y avoir existence d'une erreur.

La Cour de cassation répond que le franchiseur n'est pas tenu de fournir au franchisé un compte d'exploitation prévisionnel. Mais s'il y procède, ce document doit être sincère. En l'espèce, le franchiseur a fourni des comptes prévisionnels contenant des données erronées. Il n'en a pas vérifié la cohérence car ils étaient exagérément optimistes. Dès lors, l'écart entre lesdites prévisions et les chiffres réalisés par le franchisé avait dépassé la marge d’erreur liée à toute donnée prévisionnelle. Et les « mauvais chiffres » du franchisé ne pouvaient pas lui être imputés.

Pour la Haute juridiction, ces prévisions avaient provoqué dans l’esprit du futur franchisé, novice dans le secteur concerné, une erreur quant à la rentabilité de l'activité. Cette erreur porte sur la substance même du contrat de franchise devant conduire à une espérance de gain. Et c’est en raison de cette erreur déterminante que le franchisé avait conclu le contrat litigieux.

De plus, le franchiseur avait validé l’emplacement choisi par le franchisé. Ceci sans compter qu'il avait aussi négocié les conditions du bail. Or, le local était inadapté en raison de sa trop grande superficie ainsi que de son loyer excessif. L'affaire de la société franchisée devenait, dans ces conditions, non viable.

Enfin, ces différents paramètres révèlent les manquements du franchiseur à ses obligations de conseil. Cette obligation concerne donc la rigueur des informations fournies relatives aux prévisionnels, l'étude du marché local, le coût du bail…

C'est bien en fonction de ceux-ci que le franchisé élabore son projet d’installation.

Dans cette affaire donc, toute espérance de gain qui constitue l'essence même de la franchise, se trouvait compromise.

 

La condamnation du franchiseur : quelles sont les principaux chefs de préjudice ?

Le franchiseur reproche également à la Cour d'appel de l'avoir condamné à payer au franchisé, la somme de 153 000 euros à titre de dommages-intérêts, majorée des intérêts. De plus, les deux associés de la société franchisée se voyaient attribuer des sommes complémentaires pour leur préjudice moral.

Ledit franchiseur soutient également que l’évaluation du préjudice lié à la perte des investissements suppose la déduction des dépenses amorties de façon comptable.

La Cour de cassation répond que la faute du franchiseur se trouve à l'origine de l'erreur du franchisé. Ce dernier a pu engager, en pure perte, des investissements pour ouvrir son magasin. L'argument du franchiseur relatif à l'amortissement fiscal et/ou comptable est rejeté. Il n'a pas réduit l’incidence financière de la perte du franchisé.

 

La perte subie par les associés de la société franchisée est-elle indemnisable ?

La condamnation du franchiseur comprenait également l'indemnisation des deux associés, personnes physiques, de la société franchisée. Le franchiseur conteste alors devoir aussi payer à ceux-ci, la somme de 53 260 euros chacun, à titre de dommages-intérêts. Il s'agit d'une indemnisation reposant sur la perte de leurs apports. Or, y procéder, pourrait aboutir à réparer deux fois le même dommage. En effet, les apports de ces personnes physiques avaient servi à payer les investissements pour lesquels la société franchisée sollicitait déjà une indemnisation.

Mais le mandataire liquidateur soutient que les deux associés avaient apporté à la société « Couleurs et chocolat », en compte-courant, la somme chacun de 59 179 euros. Et si le franchiseur n'avait pas failli à son obligation pré-contractuelle d'information, ceux-ci n'auraient pas investi. En conséquence, il y avait lieu de les indemniser de la sorte.

La Haute juridiction procède à une cassation partielle. Elle n'accède pas, en revanche, à l'argumentation dudit mandataire liquidateur. Elle casse donc et annule l'arrêt de la Cour d'appel de Paris, sur ce point.

 

Décision et principaux textes

Cass. com., 10 juin 2020, n° 18-21.536, Légifrance.

CA Paris, Pôle 5, Ch. 4, 23 mai 2018, De Neuville, n° 16/07307

Articles 1109 et 1110 du Code civil

 

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